L’intelligence artificielle : quel impact pour l’expert-comptable ?
L’IA dans l’Expertise Comptable est une véritable arme à double tranchant. Un mélange entre menace et opportunité, rêve et cauchemar, fantasme et réalité.
IA - une notion polémique
« Intelligence » et « artificielle » voilà deux notions que l'on pourrait qualifier de contradictoires, mais réunies, elles représentent une science complexe qui suscite à la fois scandale, peur mais aussi beaucoup d’enthousiasme. Créé par John McCarty en 1956, le terme «intelligence artificielle » porte sur « la reproduction au moyen d'ordinateur de nos capacités mentales, telle la faculté de parler, de lire, de calculer, de comprendre et de raisonner ». Malgré la jeunesse relative de cette discipline, l’idée qu’une machine puisse être le reflet de l’intelligence humaine est née très tôt, avant même l'existence des ordinateurs. Déjà dans l’antiquité, Homère, évoquait dans le chant 18 de l'Iliade « des servants en or, en qui la raison habite ». Ces entités avaient le devoir d'accomplir les tâches des humains puisque ces derniers leur auraient appris à le faire.
L’intelligence - un concept difficile à définir
Toutefois, le concept d’« intelligence » reste encore aujourd'hui difficile à définir et fait l'objet de débats. Si nous nous fions à l'étymologie, le mot « intelligence » vient de la racine grecque « lego » qui signifie « cueillir », « choisir », « rassembler ». En latin, le mot « intelligence » - « inter legere » désigne l'action de « lier ensemble ». Cela veut dire effectivement, créer des liens entre des données très éloignées, perdues dans la masse d'information. Ainsi, l'intelligence tient à la réunion de choses supposées différentes. Elle n'est donc pas le travail du génie humain. Bref, l'intelligence, en ce sens d'établissement de relations d'analogies entre les choses, n'est pas naturelle. Au niveau ontologique, l'intelligence se définit « uniquement par son rapport entre l'individu conscient et le monde conscientisé ». Du point de vue biologique, l'intelligence est comprise comme « la capacité à surmonter les obstacles dressés par la nature ». Elle appartient donc à toutes les espèces, et à ce titre elle est éminemment naturelle.
Le projet de l'intelligence artificielles suppose en effet « que les différents aspects de l'intelligence une fois observés et décrits avec précision, peuvent être simulés sur les ordinateurs ».
Le fonctionnement des machines auto-apprenantes
Pour ce faire, l'IA repose de sur un assemblage de nombreuses technologies de rupture, comme le deep learning ou apprentissage profond, qui passe par des activités répétitives, la reconnaissance, la mémorisation, le calcul et le raisonnement logique. Ces techniques lui donnent une puissance sans précédent de calcul et de traitement de la donnée. La récente mise en place de réseaux neuronaux, de pousses synaptiques, algorithmes et capteurs sophistiqués, ont renforcé son progrès. Pourtant, tous ces efforts et inventions auraient été vains sans la big data, qui est le sang qui alimente en informations ces systèmes auto-apprenants.
Dorénavant, l'IA est capable de mémoriser, analyser, prédire, calculer et même créer. La seule capacité qui lui manque est l'abstraction. Elle exécute à la perfection, mais elle a du mal à raisonner en dehors des algorithmes. C'est peut-être là où se situe la richesse intellectuelle de l'humain.
Des systèmes intelligents se glissent dans notre quotidien
Si l’on se fie à la science-fiction, l’homme se fera dépasser par sa créature artificielle de manière plus ou moins violente et spectaculaire, tôt ou tard. À priori, nous n’en sommes pas encore là. Toutefois, mener une réflexion sur ce sujet est nécessaire.
Depuis longtemps, nous sommes en présence de machines intelligentes qui font des calculs complexes, qui solutionnent nos problèmes, qui font fonctionner des systèmes industriels, qui pilotent des avions commerciaux, qui nous « conseillent » quoi visionner, quoi acheter et même, qui incarnent Cupidon. Ce sont aussi des systèmes « intelligents » qui nous aident à écrire plus vite sur des claviers « prédictifs » et corrigent nos erreurs d’orthographe, qui permettent de faire émerger les sujets favoris sur nos réseaux sociaux, qui reconnaissent nos visages et nos empreintes, qui nous permettent de poser des questions et écouter des réponses de plus en plus pertinentes sur nos smartphones (Google Assistant ou Siri).
Ces intelligences artificielles, dites étroites ou faibles, basent leur fonctionnement sur des algorithmes complexes en essayant d’extrapoler le sens des données disponibles sur la Toile.
L'intelligence artificielle, désormais, se glisse dans nos objets les plus familiers, et cela, sans que les personnes s’en rendent forcément compte. Dans le monde entrepreneurial, ces logiciels intelligents traitent des volumes d’informations sans précédents dans un axe de temps insignifiant et libèrent les salariés des tâches fastidieuses et routinières tout en faisant gagner des millions d’euros aux gestionnaires.
IA et Expertise Comptable – un pari gagnant ?
Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est devenue un sujet de débat ardu puisque sa présence et son développement mettent en cause les rapports sociaux existants. Sur le plan professionnel, l’intelligence artificielle impose déjà des problématiques pour les nouveaux entrants dans le monde de travail. Plus précisément, les jeunes doivent se poser la question : « le métier qu’ils choisissent d’apprendre aujourd’hui sera-t-il obsolète demain ? » puisqu’il sera réalisé en toute autonomie par une intelligence artificielle.
Dans ce contexte, de nombreux emplois risquent de disparaître, d’autres de se diversifier et d’autres encore d’émerger - c’est une réalité. L’expertise comptable n’est est pas à l’abri de ces changements. Il est en effet un des top 3 métiers susceptibles d’être bouleversé par l’Intelligence Artificielle. Selon une enquête réalisée par l’université d’Oxford, le métier d’expert-comptabledans sa configuration actuelle, à plus ou moins terme, va être remplacé par une machine à hauteur de 94% .
Une information qui n’est pas surprenante, en sachant que ce métier intègre à 50 % des tâches répétitives et facilement automatisables comme la saisie, la vérification des factures, et la transcription selon les normes comptables. L’arrivée de cette nouvelle technologie dans les cabinets comptables va faire beaucoup de dégâts. Elle va remplacer le personnel chargé exclusivement de la saisie. Nombreux seront les cabinets qui vont lâcher prise devant la puissance qui les surpasse. Toutefois, ceux qui vont la voir comme un allié vont avoir aussi beaucoup à gagner. Comme l’affirme Hervé Gbego, « l'intelligence artificielle est une opportunité pour travailler mieux avec l'homme, ni sans lui, ni pour le remplacer ». En automatisant des tâches ingrates, les cabinets comptables sortiront gagnants sur plusieurs fronts. A ressources égales, ils pourront traiter un nombre plus élevé de clientèle de manière plus qualitative, et avec une marge d’erreur quasi inexistante.
Le métier de l’expert-comptable va donc changer de face. Il va moins se préoccuper de la tenue des comptes pour focaliser ses efforts et son expertise vers des tâches à forte valeur ajoutée, tel le conseil. L’IA est donc une opportunité à saisir dans la mesure où elle rend le travail plus passionnant et plus rémunérateur. Le but est ici de monter en compétences. Comme toute technologie révolutionnaire, I‘IA va créer autant d’emplois qu’elle va en détruire. Dans les cabinets comptables, les métiers vont se diversifier. A côté des experts comptables, il y aura une forte demande en data scientist, ingénieurs, data analysts. Comme le prédit Sanaa Moussaid, l’expert-comptable de demain va être un « expert-augmenté ». L’IA ne fait que prolonger ses propres compétences et capacités intellectuelles en sollicitant de plus en plus son intelligence.
Selon le visionnaire Stephen Hawking, « la montée de l’IA pourrait être la pire ou la meilleure chose qui ne soit jamais arrivée à l’humanité ». Soyons francs, les raisons de cet emballement collectif autour du sujet, et les raisons pour lesquelles nous allons tous lui céder sont d’ordre très pragmatiques. L’IA est plus rapide, plus efficace, elle ne se plaint jamais et elle n’est pas sujet à la fatigue.
IA vs Métier du chiffre : Concrètement, on en est où ?
La dématérialisation, l’automatisation de certaines tâches dans les cabinets comptables ne sont que des étapes vers cette avancé. Aujourd’hui, il existe déjà des systèmes intelligents, telles Expensya, Tiime, Conciliator Expert, le Portail de gestion collaborative de Cegid qui sont déjà en rupture avec la manière de faire des experts des chiffres. Ces logiciels sont déjà capables de scanner et enregistrer de manière autonome les opérations comptables, de collecter automatiquement les factures depuis l’environnement numérique de l’expert-comptable (cloud, applications, boite email), de saisir des notes de frais, de comprendre et classifier l’information dans le bon livre comptable.
Machines autonomes et expertise comptable : Perspectives
Demain, l’intelligence artificielle va aller encore plus loin. Elle va calculer en toute autonomie la TVA à déduire, suivre les frais de gestion, repérer des montants aberrants ou des tentatives de fraudes, gérer des bulletins de paye optimisés, suggérer les moments les plus propices pour faire des investissements, des emprunts ou renégocier un contrat dans les termes les plus avantageux.
Toutefois, il ne faut jamais oublier que la technologie n’est qu’un outil. L’IA ne sera pas capable de répondre efficacement à la complexité des commandes des clients, elle ne saura ni les écouter véritablement, ni les accompagner dans la variété des situations. Finalement, dans un contexte qui bouge en permanence, ce qui prime le plus pour les entrepreneurs est le conseil. L’Intelligence Artificielle ne saura pas répondre à des besoins purement humains, comme l’écoute, l’empathie, la relation de confiance, l’assistance à autrui.
Personne ne veut se confronter à l’idée de sa propre obsolescence et les experts comptables ne font pas exception. Toutefois, l’histoire nous a appris que c’est en bougeant les lignes que l’on garde un certain degré d’actualité. C’est en renouvelant nos potentiels, en sortant de notre zone de confort que l’on se réinvente. Depuis toujours, l’homme a fabriqué des techniques à son image, capables d'exécuter certaines tâches ou bien de les faciliter. En commençant avec la roue jusqu’à l’intelligence artificielle, l’homme n’a fait autre que créer des techniques qui le prolongent. Pour la première fois pourtant, l’homme est en train de créer des choses qui peuvent le surpasser. Toutefois, l’intelligence ne réside pas dans la force de calcul, ou dans le traitement de données, mais dans la capacité de chacun de s’armer de cette force donnée par la machine pour faire avancer les choses collectivement.
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